Faut t-il avoir peur d’Audacity version Muse Group ?

En mai dernier Muse Group rachetait le logiciel de MAO Audacity. Un logiciel développé par des bénévoles depuis plus de 20 ans sous une licence GPL. Licence que le logiciel pourrait perdre…

Muse Group assurait en mai dernier vouloir tout faire pour améliorer Audacity, son interface, ses performances et ses possibilités. Le logiciel resterait à la fois Open Source, sous licence GPL et totalement gratuit. L’idée étant pour Muse Group de rentabiliser son achat avec son écosystème musical composé de différents logiciels et sites web.

Un des points clé de la licence GPL d’Audacity vient de son ouverture à tous, adultes comme enfants. Le logiciel est gratuit et libre et tout le monde peut le télécharger pour modifier des fichiers audio. Sauf que… Muse Group vient d’indiquer un changement important dans la licence du produit. Elle est désormais « déconseillée » aux moins de 13 ans. Comment un logiciel de retouche audio peut-il être déconseillé à un enfant de 12 ans ? Cela n’a aucune logique à priori.

Audacity

La raison vient du fait que Audacity va commencer à récolter des données… Ce qui n’est pas compatible avec l’usage du logiciel par les plus jeunes. Ce ne sont pas, pour le moment, des données très vitales mais tout de même. La logiciel va lister les adresses IP des utilisateurs pour déterminer leur pays d’origine. Le système d’exploitation utilisé pour faire tourner le logiciel et le processeur exploité. Des données typiquement récoltées par les développeurs de ce type de solution pour déterminer les profils d’utilisateurs et adapter leur logiciel en conséquence. Mais des données qui peuvent être partagées par Muse Group avec des tiers en Europe, aux USA ou en Russie… Si les données récoltées peuvent paraitre minimes, c’est un pied coincé dans la porte de votre consentement à offrir plus d’informations à des sociétés que vous ne connaissez pas.

Audacity

Petit problème, Audacity ne peut pas conserver sa licence GPL et déconseiller son logiciel aux plus jeunes. La licence est forcément ouverte à tous et aucune mention d’âge n’est définie dans ses termes. Limiter l’usage d’Audacity aux plus de 13 ans est une violation de cette licence. Que risque Muse Group à « déconseiller » son logiciel à une tranche d’âge ? Pas grand chose si ce n’est la perte de cette licence. Ce qui ne devrait pas beaucoup handicaper l’entreprise… à priori.

Vous vous souvenez probablement de l’aventure OpenOffice et LibreOffice. Le second étant un « fork » du premier, c’est à dire un développement qui s’est lancé après le rachat par Oracle de Sun Microsystems qui proposait une version GPL de OpenOffice. La licence GPL autorisant des développeurs à prendre le code source d’un logiciel et de le redistribuer sous les mêmes conditions de licence. OpenOffice a alors perdu une bonne partie de ses développeurs qui ont préféré se tourner vers LibreOffice, ne voulant pas travailler « pour » Oracle. La fondation Apache ayant ensuite hérité du nom OpenOffice cédé par Oracle et lancé Apache OpenOffice. C’est un bon exemple du « garde fou » que propose la licence GPL.

Pour Audacity, il sera donc possible, tant que le logiciel sera disponible sous cette licence, de récupérer le code et de le modifier pour désactiver tous les relevés d’informations que la nouvelle version pratique. On devrait rapidement voir arriver des solutions dérivées d’Audacity sous la même licence. Rien n’empêche un développeur de proposer un « fork » du logiciel, sans aucun relevé d’information et ouvert à tous, sous un autre nom.

Audacity 3.0

Le risque pour Muse Group étant qu’une solution alternative à Audacity, totalement identique mais sous un autre nom, fédère de nombreux développeurs et devienne plus pertinente que le logiciel original. Un risque sans doute mesuré par Muse Group qui possède le gros avantage d’avoir un énorme parc de machines sur lequel le logiciel est installé. Parc qui n’ira pas lire les petites lignes d’information lors de la mise à jour du logiciel. Parc dont les utilisateurs ont été totalement mithridatisés par des années de consentement automatique à toutes les conditions imposées par les éditeurs. A force de nous imposer la lecture de dizaines de pages de termes juridiques totalement abscons, à force de lier des usages avec ces contraintes de télémétrie et de surveillance, le grand public s’est immunisé contre toute réflexion autour de ces usages de nos données. Non pas une immunité contre ses effets pervers à moyen et long terme mais contre l’amertume d’un usage déguisé par la « gratuité » sucrée de leur service.

Qui se souvient encore que les réseaux sociaux, gros collecteurs de données personnelles, sont interdits au moins de 13 ans ?

Source : Fosspost via Frandroid


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13 commentaires sur ce sujet.
  • 5 juillet 2021 - 22 h 31 min

    Merci Pierre de m’accoutumer au discernement

    Répondre
  • 5 juillet 2021 - 23 h 09 min

    Bonjour
    Je voulais revenir sur cette phrase « Ce ne sont pas, pour le moment, des données très vitales mais tout de même. La logiciel va lister les adresses IP des utilisateurs pour déterminer leur pays d’origine. Le système d’exploitation utilisé pour faire tourner le logiciel et le processeur exploité ».

    Il faut préciser qu’Audacity récupère le système d’exploitation, la version de l’OS ou encore le pays de résidence de l’utilisateur en fonction de son adresse IP mais il aspire aussi toutes “les données nécessaires à l’application de la loi, aux litiges et aux demandes des autorités “. Comme le souligne FossPost, on ignore quelles sont les données qui se cachent derrière cette appellation floue (https://fosspost.org/audacity-is-now-a-spyware/)

    De plus, Muse Group se réserve le droit de “remettre toutes les données des utilisateurs aux régulateurs d’État où elle se trouve”, soit la Russie, les États-Unis et l’Europe. “Toutes vos données personnelles sont stockées sur nos serveurs dans l’Espace économique européen (EEE). Cependant, nous sommes parfois tenus de partager vos données personnelles avec notre bureau principal en Russie et notre conseil externe aux États-Unis” explique la société russe.

    La société s’autorise aussi à partager les données des internautes avec ses employés, un acheteur potentiel, un conseiller ou ses représentants légaux. La liste des personnes en mesure d’accéder aux données est particulièrement longue. Aux dires du média, les adresses IP des usagers sont stockées pendant une période de 24 heures sur les serveurs d’Audacity avant d’être chiffrées. De facto, les autorités ou des annonceurs publicitaires peuvent aisément découvrir l’identité d’un internaute.

    Donc à ne pas prendre à la légère

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  • Tof
    6 juillet 2021 - 9 h 05 min

    @loremipsum: oui cela peut aller très loin, car c’est sans aucune limite. « les données nécessaires à l’application de la loi, aux litiges et aux demandes des autorités“, ça peut être tout et n’importe quoi.
    Quelques exemples:
    – et si les autorités d’un pays demandent la signature md5sum des fichiers audio créés avec Audacity d’un utilisateur pour la comparer avec un fichier en ligne, l’adresse MAC, etc ?… Il suffit juste de donner le motif « terrorisme » pour demander n’importe quoi.
    – et si la RIAA et la MPAA réclament la signature sonore des extraits audio importés dans les projets Audacity avec l’argument légal que cela pourrait participer à l’usage illégal de contenu sous copyright?…

    D’autre part, il ne faut pas oublier qu’Audacity est utilisé comme outil d’apprentissage pour les jeunes dans différentes formations d’accès aux outils numériques. La limite légale à +13 ans va poser un problème aux formateurs qui dans leur éthique respectent les lois et les licences. Je sais que la notion d’éthique semble assez ringarde de nos jours pour beaucoup de monde, mais il y a gens qui possèdent encore cela.

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  • 6 juillet 2021 - 16 h 37 min
  • Tof
    6 juillet 2021 - 18 h 54 min

    @Loremipsum: Ocenaudio: sources fermées, licence inconnue. Wavosaur: sources fermées, licence inconnue, Windows uniquement.
    Pas grave, je continuerai d’utiliser Audacity v2.x pour le moment, puis après j’utilisais un fork ;)

    Sachant que, en plus des point abordés par Pierre dans son article pour la partie utilisateur, il y a aussi des changements pour la partie développeurs. Désormais Muse impose aux contributeurs du projet « open-source » Audacity de signer un « Contributor License Agreement » qui donne tous les droits à Muse et même de changer de licence à terme à sa guise, voir de le passer en sources fermées. Je ne suis pas certain que tout le monde adhère à cela dans la communauté, et ça risque de forker… https://github.com/audacity/audacity/discussions/932

    Répondre
  • 6 juillet 2021 - 19 h 16 min

    @Tof: La version actuelle, 3.0.2, n’est pas encore sous le coup des demandes de Muse. Tu peux faire la maj. Sinon on forkera :)

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  • 6 juillet 2021 - 20 h 16 min

    Excellent billet. J’abonde dans ton sens… Par contre quand fork sous GPL il y aura… je migrerai.

    Répondre
  • 6 juillet 2021 - 20 h 39 min

    Je ne doute pas que la communauté « open-source » ai pris cette nouvelle comme une « escroquerie »…ça va forker sévère!!!

    Je ne doute pas non plus que l’on va voir arriver Audacity sur Android ou IOS, toujours gratuit (en fonction de base…) mais des applis qui seront pétées au possible de trackers et autres autorisations , tout comme MuseScore et ensuite, viendront les achats intégrés.

    Bref, ils auront tué Audacity dans son essence, c’est a dire, un soft gratuit, libre et open source…

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  • 7 juillet 2021 - 0 h 42 min

    Au fait, c’était qui les propriétaires originaux? Qui c’est qui a commis cette bévue de le leur vendre? Et pourquoi? Uniquement l’argent?

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  • 7 juillet 2021 - 0 h 58 min
  • 7 juillet 2021 - 14 h 58 min

    @titi
    Le lien de Pierre explique un peu mais il y a quelques précisions à apporter :

    Le créateur du logiciel (Dominic Mazzoni) l’a rendu libre de droit.
    Par conséquent il n’appartient plus à personne, ou plutôt il appartient à tout le monde jusqu’à la fin des temps (en France en tout cas et bien d’autre pays surement).
    Dominic Mazzoni n’a pas le droit de vendre (sauf s’il a l’accord des 8 milliards d’humain de la planète) et mafia group n’as pas le droit d’acheter.
    Il n’a d’autant plus le droit de vendre qu’il vendrait le travail de milliers de développeurs qui on fabriquer le logiciel.

    Ca c’est la loi en France et n’importe qui portant le dossier en justice serait censé gagner mais la France et la justice…

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  • 7 juillet 2021 - 15 h 10 min

    @dgrgt: Le truc c’est que la marque « Audacity » a été vendue et c’est ça qui compte en définitive, c’est ça que les gens ont en tête et c’est ça que Muse Group a acheté.

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  • 7 juillet 2021 - 21 h 46 min

    @Pierre Lecourt
    Oui tu as raison, il y a une différence, le nom a été vendu et comme le logiciel en fait partie dans la tête des gens…
    Ca me gave ce genre de pratique qui ont pour but de détruire des logiciel, Cool edit (le meilleur, bien au-dessus de audacity) a été détruit de la même manière par adobe.

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