Raja Koduri quitte Intel et ce n’est pas une catastrophe

Raja Koduri, en charge jusqu’alors de la branche graphique des processeurs chez Intel, s’en va vers d’autres aventures.

Raja Koduri fait partie de ces cerveaux brillants qui ont également un certain charisme. Un type étonnant qui, quand on le lit ou quand on l’écoute, fait passer des message complexes avec une relative aisance. Le gars pertinent et suffisamment pétillant pour qu’on ait envie de se fader deux heures de conférence sur des technologies hyper complexes à appréhender.

Sur Twitter hier soir

Une sorte de star sur le marché serré des grocerveaux de l’informatique. D’autant qu’avec son CV bien rempli, il est assez impressionnant en terme de réussite. Koduri est passé chez Apple, chez AMD et chez Intel et, à chaque fois, a connu un certain succès. Je l’avais d’ailleurs encensé lors de son arrivée chez Intel en 2017

Hier on apprenait que Raja Koduri était sur le départ. Fini Intel où il semble avoir rempli sa mission. Le bonhomme s’en va exercer ses neurones dans une startup orientée vers l’IA générative. Il laisse en place une équipe  qui a réussi un pari que beaucoup jugeaient impossible à tenir, faire d’Intel un acteur du marché des circuits graphiques. Pas au niveau des concurrents que sont AMD et Nvidia mais avec une base solide pour se développer et notamment une belle équipe de Recherche et Développement.

Raja M. Koduri

Est-ce grave pour Intel ? Oui et non. Oui parce que Koduri a eu un triple avantage pour la marque. D’abord il est brillant dans son métier. Un détail important d’avoir un architecte tel que lui pour poser les fondations d’un projet aussi complexe qu’un circuit graphique de cette trempe chez Intel.

Ensuite parce qu’il a su attirer dans son équipe des vétérans du domaine comme Tom Forsyth ou Darren McPhee et peut être aussi Jim Keller avec qui il avait été collègue chez Apple et AMD. Il a également peut être redoré suffisamment le blason d’Intel pour attirer des petits nouveaux, des qu’on connait pas encore, des futures étoiles de l’ingénierie qui étaient ravis de faires leurs armes sous la férule de ce mentor particulier. Des ingénieurs pour qui le bonhomme ou le projet était plus important que le poste ou le salaire au final. Qui ont préféré toquer à la porte d’Intel, CV en main, plutôt qu’à celle d’un GAFAM.

Enfin, Koduri est clairement un visionnaire et si il a du proposer des axes majeurs pour les années à venir pour le fondeur, il faudra les renouveler un jour ou l’autre avec une nouvelle vision.

Sa perte est donc un problème pour Intel. Mais cela ne veut pas dire, comme j’ai déjà pu le lire, que cela signifiait la fin des rêves graphiques de la marque. D’abord parce que les puces de ce type ne naissent pas en quelques mois. Ce sont des développements de longue haleine et l’arrivée de Koduri a lancé l’initiative graphique de la marque très rapidement après son arrivée en 2017. A l’époque déjà il était pressenti pour développer cette branche et les produits que nous connaissons aujourd’hui, les puces ARC, ont probablement été mis en production dès 2018. Depuis lors les plans d’autres générations ont déjà dû être établis. Intel a probablement établi un plan de succession lorsque Koduri a signalé sa volonté de partir vers d’autres cieux et entamé une transition de direction depuis lors.

Le « star system » existe chez les ingénieurs mais il n’est que le fruit  de notre propre vision

Laisser partir Koduri n’est pas un choix, Intel ne pouvait pas le retenir. Ce n’est d’ailleurs pas forcément productif de continuer à embaucher un gars qui a autre chose en tête que le projet sur lequel on veut le voir travailler.

Mais aussi et surtout, l’image qu’ont beaucoup de personnes de ce type de profil est totalement faussé par une vision que je pourrais qualifier de « Stevejobienne ». Koduri, comme Jobs ou bien d’autres, ne sont pas des génies qui se lèvent un matin avec LA solution pour concevoir un produit de A à Z. Le moment où il était possible de construire un ordinateur en entier en confiant la tâche à un ami comme Wozniak pour Apple n’existe plus. Il faut penser à Koduri comme on pense à un chef d’orchestre plus que comme un homme à tout faire sachant jouer avec brio de tous les instruments.

Sans chef d’orchestre, chacun irait de ses envies, de son tempo et de sa virulence dans son interprétation. Sans cohérence ni timbre. Les cordes couvriraient les instruments à vent et les percussions seraient inaudibles ou assourdissantes. Le chef d’orchestre a une vision de l’œuvre qu’il doit jouer et il établit son idée en dirigeant des compétences fortes. Seul il ne peut rien, il lui faut l’assistance d’une équipe. Pour reprendre l’image musicale, Koduri a probablement écrit pas mal de partitions et forcéement partagé ses idées avec beaucoup d’autres chefs sous ses ordres. Des chefs peut être moins charismatiques, moins pétillants, mais probablement très compétents dans leur travail.

Plus jeune, du temps d’AMD

Laisser partir Koduri aura un impact pour Intel mais cela ne veut pas dire que l’ensemble des compétences déjà en place va disparaitre. Ce n’est pas un projet mené par un seul homme, c’est un immense assemblage de connaissances et de savoir faire. On imagine que si l’industrie était vraiment faible au point de se disloquer suite au départ inopiné d’un seul salarié, il n’y aurait finalement pas beaucoup de progrès dans ce domaine. Pas beaucoup d’investissements  non plus. Qui irait risquer des milliards de dollars quand un simple accident de la vie pourrait tout mettre par terre ? Du reste le départ de Koduri de chez AMD n’a pas enterré ses innovations.

Evidemment, face à des technologies que l’on ne comprend pas trop, il est plus simple de croire dans le mythe du génie. Un homme qui va incarner un projet comme la création d’un circuit graphique c’est bien plus simple à appréhender que la réalité physique qui se trouve en réalité derrière. Il y a bien des stars chez les ingénieurs mais c’est nous qui les créons. Ou parfois les marques. Chez Intel, l’ingénieur a clairement été mis en avant comme un transfuge d’AMD afin de mettre l’accent sur son initiative vers les produits graphiques. Sa volonté de personnifier cette aventure ne fait aucun doute, d’autant que le client était parfait dans ce rôle. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il portait tout le projet sur ses seules épaules.

Intel doit trouver une relève pour poursuivre son aventure graphique. La division doit déjà tourner sur un nouvel organigramme depuis quelque temps. Et le navire continue à avancer.


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6 commentaires sur ce sujet.
  • 22 mars 2023 - 18 h 14 min

    Les cimentières sont remplis de gens indispensables dit le proverbe…

    J’ai assez tendance à être d’accord avec toi, mais parfois, le départ d’un chef un peu charismatique peut aussi donner des envies de bougeottes à d’autres personnes de l’équipe.
    Ayant été dans la peau d’un équipier, ça m’est arrivé après la mutation d’un chef qui savait donner une direction et une vision, remplacé par d’autres qui n’ont pas su tenir le choc.
    L’implication a baissé, j’ai changé de boite quelque temps après, et d’autres m’ont devancé et suivi.
    Dans un autre cas, la greffe a pris et je suis resté.
    Espérons que l’impulsion étant donnée, ceux qui prennent la relève sauront garder le cap.

    Même si (j’imagine que) c’est moins le cas dans les grosses boites comme Intel, je pense (j’espère ?) quand même que quand on peut, on préfère travailler avec des gens qu’on apprécie, et que les relations humaines comptent beaucoup dans le milieu professionnel.

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  • 22 mars 2023 - 18 h 39 min

    C’est ce que sous tend le charisme de Raja oui, la moindre attractivité de la boite. Cela dit c’est un vrai challenge a relever désormais. Il y a tant à faire sur le segment.

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  • gep
    23 mars 2023 - 9 h 45 min

    Merci pour ce billet et de rappeler que la recherche et le R&D est un sport d’équipe, où justement souvent des figures de proues (les moins intelligents ou réalistes), qui portés par la fame se croient au dessus du lot, peuvent finir par prendre la grosse tête et ne plus écouter leurs subalternes anonymes qui portent bien souvent les avancées, et ainsi finir par se saborder eux-mêmes sans s’en rendre compte.

    En recherche en maths, on a tendance à dire que passé 30 ans, rien de nouveau ne sortira d’un cerveau autre que ses idées d’avant 30 ans. Mais que pour que ces avancées et nouvelles idées arrivent, il faut un senior à l’écoute et au service de son équipe (c’est à dire qui met son réseau et sa « fame » azux services de ces jeunes pour leur faciliter la vie administratives et financières, émuler les échanges d’idées et rendre possible leurs déroulements jusqu’au bout).
    … Et souvent, le passage de « producteur d’idées à senior qui se met au service » est le moment clé d’un carrière de recherche que beaucoup n’arrivent pas à passer, car iul faut accepter de se retirer et se mettre au service (…un peu comme les politiques avec le peuple… mais là on va partir loin)

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  • 24 mars 2023 - 11 h 21 min

    J’ai juste l’impression que Koduri, loin d’être un génie (ça existe vraiment, ça ?), est une tête bien faite, cohérente et peut-être un peu humain, qui s’investit et se passionne dans ce qu’il fait. Bon, sûrement avec du talent.
    Comme résume très bien McBerd : un capitaine qui donne une direction, une vision et embarque tout le monde.

    Et je pense que des types comme lui, qui devraient représenter la normalité dans les directions en fait, ne font que mettre en exergue le vaste brouhaha de tant de « chefs » qui ne sont vraiment pas à leur place, les faux capitaines qui ne savent pas tenir leur barque ; et n’arrivent pas à former des équipes, ou détruisent celles déjà en place.
    J’ai trop connu ça, je vois encore trop ça : l’absence de vrais chefs. C’est ouf quand on y pense.

    Au final, le vrai génie, n’est-ce pas repérer les gens -comme Koduri- qui savent faire leur taf, et bien ?

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  • 26 mars 2023 - 17 h 43 min

    Bonjour à tous,

    Je suis d’accord avec tout ce qui s’est dit pour le moment. J’ajouterai que pour des aventures d’une telle envergure, il faut beaucoup de grocerveaux. Et Koduri doit avoir des gens qui l’entourent et l’écoutent. Le problème, dans une équipe de grocerveaux, c’est réussir à les faire s’écouter les uns les autres et de tirer la quintessence de ces grocerveaux. Il faut prendre ce qu’il y a à prendre et juste comme disait mcberd, donner une direction / un cap qui permet de fédérer tous ces grocerveaux (qui vont souvent de paire avec de gros égos). Et je pense que c’est là qu’il faut jouer fin : donner une direction en laquelle on croit, en faisant participer ses camarades de jeu, sans tyranniser ou imposer de manière autoritaire, de risque de perdre des collaborateurs, mais malgré tout, faire en sorte que la direction qu’on a donné reste suivie pour éviter de s’égarer/s’éparpiller.

    On digresse, mais c’est intéressant ;)

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  • 28 mars 2023 - 14 h 37 min

    Pour diriger une équipe de grocerveaux, il est préférable d’en être un également même s’il n’a pas forcément besoin d’en faire la preuve quotidienne.

    Cela permet au chef de détecter très rapidement :

    1. Celui qui s’égare sur des concepts trop avancés pour les possibilités du moment ou sur de « fausses bonnes idées »;
    2. Le petit malin qui essaie de t’enfumer avec des idées foireuses en pariant sur le fait que tu es en dehors de son domaine d’expertise.

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